Nouveautés sur la nullité des décisions prises en interne dans les sociétés

Sera-t-il vraiment plus difficile d'obtenir l'annulation d'une décision sociale ?

L’ordonnance du 12 mars 2025 s’attaque aux décisions prises par les associés par voie d'assemblée, de consultation écrite ou d'acte unanime, ainsi qu'aux actes des représentants des sociétés.

Ces nouvelles dispositions concernent les décisions qui seront prises à compter du 1er octobre 2025 et excluent les actes externes passés par la société avec un tiers.

Comment peut-on revenir en arrière et faire annuler de telles décisions ?

Cela va dépendre de la raison de la demande d’annulation et de la décision concernée.

D’abord, Il faut que la faute soit suffisamment grave :

Soit une règle « impérative » en droit des sociétés n’a pas été respectée, soit l’une des conditions de validité d’un engagement contractuel était défaillante.

(i) La règle impérative est celle qui est qualifiée d’ordre public ou qui pose une condition essentielle à l'adoption de la décision.

Par exemple au sein du Code civil : le formalisme du contrat de société conclu entre époux (art 1832-1), l’illicéité de l’objet social (art 1833), le défaut d’unanimité en cas de modification des statuts sauf clause statutaire contraire (art 1836 al1), l’augmentation des engagements d’un associé sans son accord (1836 al2), l’exclusion du droit de participer aux décisions collectives (1844 al1), l’attribution de la totalité du profit à un associé (1844-1 al2), le défaut d'unanimité, sauf clause statutaire contraire, pour prendre des décisions collectives qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants (1852), ou encore le refus d’autoriser la vente de parts d’une société civile à l’acheteur proposé par un associé sans faire une offre de rachat à ce dernier (1863).

Concernant les SAS, les statuts peuvent prévoir la nullité des décisions sociales prises en violation de ses règles. L'action en nullité sera exercée conformément à ce qui suit.

(ii) La validité d'un engagement contractuel est remise en cause en cas d’incapacité du décisionnaire, d’un vice du consentement (dol, erreur, violence) ou encore du défaut de contenu licite et certain de la décision.

Ensuite, il faut que le juge étudie les conséquences de la défaillance.

L’associé qui s’estime lésé doit demander au juge de prononcer l'annulation de la décision critiquée en passant par un processus en 3 étapes décrit au nouvel article 1844-12-1 du Code civil  :

1/ à cause de la faute, l’associé qui s’estime lésé a subi le dommage que la règle de droit était censée éviter ;

2/ la collectivité des associés a été poussée à prendre la décision du fait du contournement de la règle de droit ;

3/ en annulant la décision, la société ne subit pas un dommage plus grave que celui subi par l’associé qui s’estime lésé.

Mais pour certaines règles du Code de commerce, il ne sera pas nécessaire de passer par ces 3 étapes : par exemple, la transformation d’une SARL en SNC ou en commandite sans l’accord de tous les associés (art L. 223-43), le non-respect de la politique de rémunération dans une société cotée (art L.22-10-8), ou encore la nomination irrégulière d’un administrateur de SA (art L.225-18).

Les décisions prises à la suite de la décision « principale » qui aurait été ainsi annulée ne seront pas automatiquement annulées, car le juge pourra limiter les annulations « en cascade ». Par exemple, si la décision de désignation ou de renouvellement d’un dirigeant est annulée, les actes qu’il a pris après cette décision ne seront pas automatiquement annulés.

Le juge pourra décider de limiter également l’annulation à partir d’une certaine date si l’annulation des décisions prises avant cette date emporte des conséquences trop graves pour la société.

Enfin, il faut saisir le juge dans les deux ans après le jour où la nullité est encourue, et non plus trois ans, sauf pour les décisions qui concernent une augmentation de capital où le délai varie entre 3 mois à compter de l'assemblée qui a reçu le rapport du Président sur les conditions définitives de l'opération si ce dernier a reçu une délégation de constater sa réalisation, ou 3 mois à compter de la décision d’augmenter le capital s’il n’y a pas eu de délégation.

Une action en responsabilité pourra toujours être engagée dans les 3 ans à compter du jour où la décision d’annulation est passée en force de chose jugée.

Et des dommages et intérêts pourront également être demandés si la nullité a été couverte pour une remédiation ou une régularisation, à condition que l’action soit initiée dans les 3 ans après cette remédiation ou régularisation.

Le but de cette ordonnance est notamment de simplifier le régime des nullités : les articles 1844-10 et suivants du Code civil traiteront du cadre général de la nullité et il ne restera plus dans le Code de commerce que les dispositifs particuliers sur les restructurations, les augmentations et les réductions de capital.

Elle permet aussi la mise en conformité avec la directive européenne 2017/1132 sur la nullité de la société et sa liquidation subséquente. 2 raisons peuvent justifier d’annuler la constitution de la société : l’incapacité des fondateurs ou l’insuffisance d’associés par rapport au minimum légal.

Avec ces nouvelles dispositions, les possibilités d'obtenir la nullité semblent limitées. Mais, en conditionnant la nullité au non-respect d'une "règle impérative", il faut comprendre que l'identification des dispositions impératives appartient au juge, qui peut s'en remettre à la lettre du texte ou à sa finalité. Il n'y a là aucune limite certaine à ne pas dépasser, et il faudra être attentifs aux décisions des juges qui établiront peu à peu les contours de l'impératif légal sociétaire.